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PME et Mittelstand une vraie différence de valeurs

PME et Mittelstand une vraie différence de valeurs

Jérôme Lecot, Directeur du Cabinet de recrutement franco-allemand Eurojob Consulting, compare le fonctionnement des petites et moyennes entreprises françaises et allemandes et trace les contours de la collaboration économique de demain.



Quelles sont les particularités des PME françaises ?


Selon la définition européenne, la PME est une entreprise de 1 à 250 salariés. Dans les faits, ce sont surtout des petites entrepri- ses puisque 93 % de nos entreprises en Fran- ce ont moins de 50 salariés. Plus de la moitié des salariés du secteur privé travaillent donc dans des petites entreprises. L'esprit du chef d'entreprise PME est totalement différent de celui du patron d'une grande entreprise multinationale. Le pa- tron de PME, c'est celui qui risque ses biens tous les jours, qui risque son affaire, son argent. Il s'entoure d'une équipe d'hommes et de femmes pour réaliser le projet qui lui tient à cœur.


Aujourd'hui dans le monde économique et politique, tout le monde félicite l'excellence et l'exemplarité de l'Allemagne, sor- tie victorieuse de la crise. On croit que cette félicité tient à son "Mittelstand", qui n'existe pas en tant que tel en France. Comment le voyez-vous ?


Selon moi, les Allemands ont un atout formidable car ils ont construit depuis 30 ou 40 ans des entreprises plus importantes. La proximité des entreprises allemandes avec les systèmes bancaires, les réseaux financiers, joue un rôle important. Au-de- là de cela, je pense que le succès des entreprises allemandes est également lié à une culture de la transmission, que nous n'avons pas en France. L'entreprise est transmise de génération en génération, chaque successeur ayant à charge de la faire grossir et fructifier. Cette envie de faire croître l'entreprise offre à voir des résultats formidables. Je crains qu'en France on ne transmette pas l'entreprise mais qu'on ait une tendance à se dire "je vais vendre pour faire un peu d'argent". J'aimerais que les ETI (entreprises à taille intermédiaire, ndlr) françaises deviennent également des "entre- prises patrimoniales", dans lesquelles le but du patron n'est pas forcément de faire des bénéfices à deux chiffres pour des retraités du Massachusetts, mais simplement de faire des résultats pour faire croître son entreprise. Il y a une vraie différence de valeurs au sein des entreprises françaises et allemandes.


En France, l'entrepreneur est un mal-aimé par rapport à l'entrepreneur allemand qui est véritablement un héros pour nourrir les familles et les villages. Pensez-vous que cette différence d'image a un impact sur l'économie ?


Là, on est face à un vrai problème culturel. C'est vrai que le chef d'entreprise en Allemagne est quelqu'un de vénérable, ce qu'il n'est pas du tout en France puisqu'il est plutôt critiqué. On a tendance à voir davantage son bulletin de salaire que le fruit de son travail. Avec le syndicalisme, ce problème devient également social, car il n'y a pas la même culture économique au sein des syndicats français et allemands. Les syndicats représentatifs du personnel sont beaucoup plus forts en France, mais il n'y a pas le même dialogue avec les dirigeants économiques.


Le modèle allemand peut donc constituer une source d'inspiration pour les entreprises françaises. À votre avis, qu'est-ce qu'il serait bon d'emprunter aux Allemands ?


Le problème de l'industrie est central. Pendant 20 ans, peut-être même un peu plus, la France a désindustrialisé et a misé sur le seul secteur des services. Or, ce qui fait la force des Allemands, c'est justement d'avoir une industrie solide avec de l'innovation, de la recherche et du développement. Les Français le savent, c'est pour cela qu'ils ont mis en place, depuis un an et demi, des états généraux de l'industrie. À terme, il s'agit de renforcer l'industrie française, de la rendre plus performante.
Un autre aspect est l'apprentissage, qui est vraiment un domaine dans lequel lequel la France a besoin de prendre des leçons de l'Allemagne. C'est d'ailleurs dans cette direction que se porte la volonté politique, puisque le président de la République a pour ambition de voir se créer 800 000 pos- tes d'apprentis en France. C'est un enjeu extrêmement important. Et on voit que cela marche très bien quand on le met en place dans nos entreprises en France.


Pourquoi nos entreprises sont-elles moins compétitives, et notamment à l'exportation, que les allemandes ?


Selon moi, le plus grand obstacle pour les Français demeure la langue. Dans nos PME, on a de grandes difficultés à trouver des cadres qui soient suffisamment bilingues ou trilingues pour s'occuper de l'exportation. Il y a aussi le fait que dans notre culture, on cherche d'abord autour de soi et on n'exporte ses qualités, son entreprise, qu'en extrême limite.


Qu'est-ce qu'on peut apprendre aux Allemands en tant que Français ? Aujourd'hui que la crise a mis en valeur le dialogue social, la solidarité nationale, est-ce que les Allemands peuvent s'inspirer du modèle syndical français ?


En France, nous avons une très bonne expérience en matière sociale, car nous travaillons avec l'ensemble des partenaires sociaux, c'est-à-dire les syndicats de salariés et les syndicats patronaux. Un certain nombre de domaines importants de la pro- tection sociale, tels que l'assurance-chômage, le recouvrement, marchent très bien quand ce sont les partenaires sociaux qui s'en occupent. Il est possible que les Allemands nous envient, car chez eux l'État seul est chargé de ces responsabilités.


Les États ont impulsé des mariages entre entreprises françaises et allemandes, qui ne se sont pas toujours bien passés. Je pen- se notamment à EADS, Siemens, Thales... Est-ce que nos différences culturelles ne sont pas un frein pour les relations entre les PME françaises et allemandes de demain ?


Non, je n'ai vraiment pas l'impression qu'il y ait encore des obstacles culturels dans les relations entre entreprises franco-allemandes. Au niveau des très grands groupes, je ne peux pas vous dire, mais au niveau de la PME, nous partageons un esprit de rassemblement, de gagnant-gagnant. Ce sont des échanges permanents, d'hommes, de savoir-faire, de technologies, de brevets... Mais cette relation humaine directe est quelque chose qui ne peut exister qu'au niveau des petites entreprises.


Il n'existe pas aujourd'hui de PME européenne. Chaque pays a encore des spécificités, c'est le cas pour la France, c'est le cas pour l'Allemagne. Il n'y a pas de sta- tut de PME européenne, la tentative d'en créer un à Bruxelles a été un échec. Mais s'il y avait une entreprise européenne qui s'exportait, qui serait la somme de nos valeurs, quelle serait-elle ?


Je crois que la somme des valeurs de tous les pays qui composent l'Europe serait avant tout des valeurs humaines, centrées sur le respect et la protection de l'homme. L'entreprise que l'on pourrait baptiser entreprise européenne serait celle qui irait exporter ses valeurs dans des pays qui ont des croissances extraordinaires, mais où, justement, il y a peut-être cela à mettre en place : le respect de l'homme, la protection, en plus de l'économie. La croissance sert avant tout à satisfaire le besoin des hommes. Si on pouvait arriver à exporter cette satisfaction du besoin des hommes dans les autres pays du monde, tels que la Chine, l'Inde et le Brésil, je pense que l'Europe connaîtrait bien des succès.