En Allemagne, la parentalité reste un frein dans la carrière des femmes

En Allemagne, chaque naissance semble tracer une ligne invisible entre les hommes et les femmes au travail. Si les pères poursuivent leur carrière presque sans entrave, les mères voient souvent leurs ambitions freinées par un système qui peine à s’adapter. Horaires de crèches trop courts, fiscalité qui encourage le temps partiel féminin, promotions qui s’évaporent dès le congé parental : autant de barrières qui rappellent que, dans la première économie d’Europe, la parentalité reste encore un handicap genré. Derrière l’image d’un pays moderne et compétitif, se cache une réalité plus sombre : pour beaucoup d’Allemandes, choisir d’avoir un enfant revient encore à sacrifier une part de leur avenir professionnel.

Clara Müller, 34 ans, travaille depuis 10 ans comme ingénieure en informatique à Berlin. Passionnée par son métier, elle rêve également de fonder une famille. Mais quand son premier enfant naît, elle découvre une réalité bien différente de ses attentes. Malgré un congé parental généreux en Allemagne (jusqu’à 14 mois indemnisés), son retour au travail est semé d'embûches.

Ses horaires flexibles promis par son entreprise s'avèrent difficilement compatibles avec les réunions tardives. Les crèches, souvent en nombre insuffisant, ferment à 16h30, bien avant la fin de la journée de travail type. De plus, elle constate que ses perspectives de promotion se sont envolées : son manager l’exclut désormais des projets à forte visibilité.

Comme Clara, près de 40 % des femmes allemandes réduisent leur temps de travail après avoir des enfants (source : Destatis). Beaucoup se retrouvent à temps partiel, souvent malgré leur volonté. Ce dilemme illustre un problème plus large : en Allemagne, être mère reste encore un frein majeur à la progression professionnelle.

L’Allemagne se distingue en Europe par la persistance d’un modèle familial traditionnel. Le concept de la « hausfrau » (femme au foyer) reste profondément ancré dans la culture. Bien que les lois aient évolué, les mentalités et les structures de garde d’enfants restent en retard.

Selon l’OCDE, seulement 35 % des enfants de moins de 3 ans bénéficient d'une place en crèche. Le manque de solutions de garde adaptées pousse de nombreuses mères à opter pour un temps partiel (près de 70 % des mères actives travaillent à temps partiel en Allemagne).

Le système fiscal joue également un rôle : le "splitting conjugal" avantage fiscalement les couples où l’un des partenaires (souvent la femme) réduit son activité professionnelle.

Le résultat ? Un plafond de verre persistant : seulement 29 % des postes de direction en Allemagne sont occupés par des femmes (source : Statista 2024), et les mères sont largement sous-représentées dans ces chiffres.

Heureusement, certaines branches offrent aujourd’hui des opportunités plus flexibles et inclusives. Les secteurs du numérique, du marketing digital, de la traduction ou encore de la rédaction web se prêtent mieux au télétravail et aux horaires aménagés.

Les entreprises innovantes en Allemagne cherchent à attirer davantage de talents féminins, notamment dans la tech, l'ingénierie ou les services financiers. Ces entreprises développent des politiques de flexibilité, de mentorat pour les femmes, de soutien au retour de congé parental. Certaines startups allemandes comme Personio se démarquent également par des cultures d’entreprise modernes et inclusives.

Les formations continues, en particulier dans le numérique, permettent aussi aux mères de rebondir : le e-learning et les bootcamps tech se développent en Allemagne.

SAP, le géant allemand des logiciels, fait figure d’exemple dans la lutte contre les freins à la carrière des mères. Basée à Walldorf, l’entreprise propose depuis plusieurs années des programmes innovants en matière de parentalité.

SAP offre aux parents :

• des crèches d’entreprise sur site,
• des possibilités de travail à distance,
• des horaires ultra-flexibles,
• un accompagnement personnalisé au retour de congé parental.

L’entreprise a mis en place le programme "Back to Business" pour aider les femmes à reprendre leur carrière après une pause liée à la maternité. Résultat : chez SAP, plus de 40 % des managers femmes sont aussi mères.

De telles initiatives inspirent d’autres entreprises du pays. En valorisant l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle, SAP montre que parentalité et carrière ne doivent pas être incompatibles en Allemagne.

En savoir plus:

• Crise des crèches en Allemagne : quand une place peut coûter 2 500 euros par mois
• Comment valoriser son congé parental dans un CV allemand
• Prestations familiales en Allemagne : conditions & montant

Jérôme Lecot